Les hameaux de Chebaa, quelques kilomètres carrés qui suscitent bien des convoitises
Emilie Sueur, de Beyrouth
En mai 2000, après 22 ans d’occupation, les troupes israéliennes quittaient le Liban Sud. Quelques jours plus tard, l’Onu annonçait que la résolution 425, appelant à la fin de l’occupation des terres libanaises, avait été remplie. Un avis rejeté par l’Etat libanais et le Hezbollah au motif que les troupes israéliennes occupaient toujours une zone située aux confins du Liban, de la Syrie et d’Israël : les hameaux de Chebaa. Si pour l’Onu, ces hameaux sont Syriens, pour le Liban, ils relèvent assurément de sa souveraineté.
Le x juillet dernier, en pleine guerre, le Premier ministre libanais, Fouad Siniora présentait un plan au sein duquel il proposait de placer les hameaux de Chebaa sous contrôle onusien, dans l’attente d’une délimitation claire de la frontière libano-syrienne. Mardi dernier, le secrétaire général de l’Onu, Kofi Annan, affirmait être prêt à « étudier minutieusement » la proposition de Siniora. Une lourde tâche tant ce bout de terre concentre bien des intérêts et représente un résumé de l’histoire tellement complexe du Liban.
C’est en 1967, lors de la guerre des Six jours, que les soldats israéliens entrent pour la première fois dans les hameaux de Chebaa, situés au pied du Golan syrien. A l’époque, ils se contentent d’y faire des allers retours. La situation va changer en 1969. Cette année là est signé au Caire, un accord qui permet aux Palestiniens du Liban de lancer des attaques contre Israël à partir de leur terre d’accueil. Rapidement, les moudjahidines palestiniens s’installeront dans les hameaux de Chebaa. En 1972, les Israéliens passent à l’offensive, chassent les Palestiniens et occupent les hameaux. En 1982, après la seconde invasion israélienne, l’occupant octroie des permis à quelques fermiers pour qu’ils travaillent leurs terres. La procédure ne durera toutefois que deux ans. « En tout, 2800 familles possédant 14 fermes ont perdu leur terre », explique Mohammed Hamdane, président du comité des citoyens de l’Arkoub (région du sud Liban contenant la ville Chebaa et ses hameaux), une ONG libanaise qui lutte pacifiquement pour prouver que les hameaux sont libanais. Pour étayer sa thèse, il présente des titres de propriété sur lesquels est inscrit la mention « République libanaise » ou encore un permis de passage, datant de 1950, autorisant un résident des hameaux à se rendre, pendant un an, en Syrie. « Si ce n’est pas une preuve que les hameaux sont Libanais ! », s’exclame Mohamed, lui-même né en 1959 dans le hameau de Zebdin qu’il a dû quitter alors qu’il était enfant. Il présente également des actes de transfert de propriété de fermes enregistrés à Saïda, ville libanaise. Cet universitaire estime en outre que, contrairement aux thèses qui estiment à 40 kilomètres carrés la surface des hameaux, ceux-ci s’étendent sur 200 kilomètres carrés.
Une histoire est souvent avancée pour étayer la thèse de la syrianité des hameaux : La présence, jusqu’en 1967, d’un poste de gendarmerie syrien sur ce territoire. « Cet argument ne tient pas, affirme Mohamed. Dans les années 50, Damas a demandé à Beyrouth de lutter contre la contrebande. Le Liban, tout juste indépendant, ne disposait pas d’assez de forces de l’ordre pour gérer ce problème. En 1955, Damas et Beyrouth ont alors signé un accord pour l’établissement d’un poste de gendarmerie syrien dans les hameaux. A noter, d’ailleurs que les cinq gendarmes syriens ont quitté les hameaux avant la guerre de 67 ».
Les hameaux de Chebaa représentent en outre divers intérêts stratégiques « D’un point de vue militaire, explique Mohamed, Israël ne tient pas à lâcher ce territoire, car en son plus haut point, à Jabal Cheikh (le mont Hermon), Israël a installé un poste militaire d’observation à partir duquel il voit toute la région ». Sur le plan économique, la région est riche au niveau agricole. Les Israéliens y ont, de plus, installé une station de ski. « C’est le seul endroit où ils peuvent le faire, car il n’y a pas de neige ailleurs dans leur pays », souligne Mohamed. Enfin, et là réside certainement le point le plus important, la région des hameaux est extrêmement riche en ressources hydrauliques. Elle bénéficie notamment de la fonte des neiges provenant des montagnes qui surplombent la zone. « Selon les experts, 1,3 milliards de mètres cube d’eau sont disponibles dans les sous sol », assure Mohamed.
Autant dire que ces hameaux vont continuer de susciter bien des convoitises.
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